Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juin 2025, 24-13.604, Publié au bulletin
#Mots-clés: Devoir de vigilance, Acte de disposition, Administration légale, Autorisation parentale
Fiche technique de l’arrêt :
* Titre: Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juin 2025, 24-13.604, Publié au bulletin
* Numéro de pourvoi: G 24-13.604
* Décision: Rejet
* Rapporteur: Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire
* Rapporteur Public: Mme Guinamant, avocat général référendaire
* Avocat(s): SCP Lyon-Caen et Thiriez
* Date de lecture: 12 juin 2025
Faits :
M. [H], agissant en qualité d’administrateur légal des biens de ses trois enfants mineurs, [X], [P] et [O] [H], issus de son union avec Mme [D], a effectué le 26 juin 2012 des virements de 5 000 euros depuis les comptes d’épargne de chacun de ses enfants ouverts auprès de la caisse de Crédit Mutuel vers le compte d’une entreprise dont il était le dirigeant.
Après ce premier virement, M. [H] a continué à effectuer divers virements et retraits sur ces mêmes comptes, jusqu’à épuisement quasi-total des fonds.
Mme [D], alertée par ces mouvements financiers, a saisi le juge des tutelles, qui a désigné l’Union départementale des associations familiales du Maine-et-Loire (UDAF) en qualité d’administrateur ad’hoc pour représenter les intérêts des enfants mineurs.
Procédure :
1. Mme [D], agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de ses enfants mineurs, a intenté une action en responsabilité contre la caisse de Crédit Mutuel, lui reprochant un manquement à son obligation de vigilance.
2. L’UDAF, en qualité d’administrateur ad’hoc, est intervenue volontairement à l’instance.
3. La cour d’appel d’Angers, par un arrêt du 5 décembre 2023, a condamné la banque à verser des dommages et intérêts aux enfants mineurs, considérant qu’elle avait manqué à son devoir de vigilance.
4. La caisse de Crédit Mutuel a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Problème juridique :
La banque, qui a exécuté des virements ordonnés par l’administrateur légal des biens d’enfants mineurs vers le compte d’une société dont il est le dirigeant, sans solliciter l’accord de l’autre parent, engage-t-elle sa responsabilité pour manquement à son devoir de vigilance, alors qu’elle n’est pas garante de l’emploi des fonds et qu’elle est tenue à un devoir de non-ingérence dans les affaires de son client ?
Solution :
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle considère que, selon les articles 389-5 et 505 du code civil dans leurs rédactions applicables à l’époque des faits, les parents doivent accomplir ensemble les actes de disposition sur les biens du mineur dans le cadre de l’administration légale pure et simple. À défaut d’accord, l’autorisation du juge des tutelles est nécessaire. Elle souligne qu’un virement sur un compte d’épargne est un acte de disposition. Ainsi, en ne demandant pas l’autorisation de l’autre parent pour effectuer ces virements, la banque a commis une faute engageant sa responsabilité. La Cour substitue d’office ce motif de pur droit à ceux critiqués par le moyen.
Portée :
Cet arrêt précise l’étendue du devoir de vigilance des banques dans le cadre de l’administration légale des biens des mineurs. Il rappelle que la banque doit s’assurer du consentement des deux parents pour tout acte de disposition sur les comptes des mineurs, ou à défaut, de l’autorisation du juge des tutelles. Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité.
Dispositif :
La Cour de cassation REJETTE le pourvoi formé par la caisse de Crédit Mutuel et la condamne aux dépens. Elle rejette également sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Intérêt de l’arrêt :
Cet arrêt est important pour plusieurs raisons :
* Clarification du devoir de vigilance des banques : Il confirme que le devoir de vigilance des banques ne se limite pas à la détection d’anomalies apparentes, mais inclut également la vérification du respect des règles relatives à l’administration légale des biens des mineurs, notamment l’exigence du consentement des deux parents pour les actes de disposition.
* Protection des intérêts des mineurs : Il renforce la protection des intérêts patrimoniaux des mineurs en responsabilisant les banques qui manquent à leur obligation de vigilance.
* Sécurité juridique : En substituant un motif de pur droit, la Cour de cassation sécurise juridiquement sa décision et rappelle l’importance du respect des règles relatives à l’administration légale des biens des mineurs.
* Impact pratique pour les banques : Cet arrêt invite les banques à mettre en place des procédures internes pour vérifier systématiquement le consentement des deux parents avant d’effectuer tout acte de disposition sur les comptes des mineurs, sous peine d’engager leur responsabilité. Cela implique une formation adéquate du personnel et la mise en place de contrôles internes efficaces.
* Actualisation au regard des réformes : Bien que l’arrêt se base sur des versions anciennes des articles du Code civil, les principes fondamentaux restent applicables. Les banques doivent donc tenir compte des évolutions législatives et réglementaires en matière de protection des mineurs et d’administration de leurs biens. En effet, les ordonnances et lois postérieures ont renforcé le rôle du juge des tutelles et précisé les règles relatives à l’administration légale et judiciaire, ce qui implique une vigilance accrue de la part des établissements bancaires.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.