Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 23-12.614, Publié au bulletin
#Mots-clés: Action Paulienne, Homologation, Transaction, Fraude
Fiche technique de l’arrêt :
* Titre : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 23-12.614, Publié au bulletin
* Numéro : 23-12.614
* Décision : Cassation partielle
* Rapporteur : Mme Comte
* Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats, SCP Piwnica et Molinié
* Date de lecture : 4 juin 2025
Faits :
[P] [Z], [A] [X], [N] et [U], photographes professionnels, avaient confié la gestion et l’exploitation d’une partie de leurs photographies originales à l’Agence Gamma, devenue successivement Hachette photo presse puis Eyedea presse. Le capital social de cette dernière était détenu à 100 % par Groupe Hachette Filipacchi photos. Hachette Filipacchi presse a ensuite cédé Groupe Hachette Filipacchi photos à Green Recovery II. Eyedea presse a été mise en liquidation judiciaire. Les photographes, ayant subi des pertes de leurs photographies, ont fait fixer leurs créances au passif de la société Eyedea presse. Ils ont ensuite assigné Hachette Filipacchi presse et Green Recovery II sur le fondement de l’action paulienne, visant à déclarer inopposables plusieurs actes ayant eu pour effet d’appauvrir Eyedea presse. Ces actes sont : la cession du 22 janvier 2007 de Groupe Hachette Filipacchi photos entre Hachette Filipacchi presse et Green Recovery II; un prêt du 2 février 2007 et son avenant du 29 juin 2009 entre Hachette Filipacchi presse, en tant que prêteur, et Eyedea presse, en tant qu’emprunteur; un protocole transactionnel du 15 mai 2009; et un protocole de conciliation du même jour, ces deux derniers étant conclus entre Hachette Filipacchi presse, Green Recovery II et Eyedea presse.
Procédure :
1. Les photographes ([P] [Z], [A] [X], [N] et [U]) ont confié la gestion de leurs photographies à l’Agence Gamma (devenue Hachette photo presse puis Eyedea presse).
2. Hachette Filipacchi presse a cédé Groupe Hachette Filipacchi photos (détenant 100% d’Eyedea presse) à Green Recovery II.
3. Eyedea presse a été mise en liquidation judiciaire.
4. Les photographes ont fait fixer leurs créances au passif d’Eyedea presse suite à la perte de leurs photographies.
5. Les photographes ont assigné Hachette Filipacchi presse et Green Recovery II sur le fondement de l’action paulienne, visant à déclarer inopposables :
* La cession du 22 janvier 2007 de Groupe Hachette Filipacchi photos.
* Le prêt du 2 février 2007 et son avenant du 29 juin 2009.
* Le protocole transactionnel du 15 mai 2009.
* Le protocole de conciliation du 15 mai 2009.
6. La Cour d’appel de Versailles, par arrêt du 22 novembre 2022, a déclaré irrecevables les demandes d’inopposabilité du protocole de conciliation et du protocole transactionnel (homologués par jugement), et en conséquence, la demande d’inopposabilité de l’avenant au contrat de prêt. Elle a rejeté les demandes d’inopposabilité de l’acte de cession et du contrat de prêt.
7. Les photographes ont formé un pourvoi en cassation.
Problème juridique :
L’homologation judiciaire d’une transaction fait-elle obstacle à l’exercice d’une action paulienne par un créancier qui cherche à contester l’opposabilité de cette transaction, estimant qu’elle a été conclue en fraude de ses droits?
Solution :
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel. Elle rappelle que l’action paulienne, fondée sur l’article 1167 ancien du Code civil, permet aux créanciers d’attaquer les actes de leur débiteur accomplis en fraude de leurs droits. Elle précise que le contrôle exercé par le président du tribunal de grande instance lors de l’homologation d’une transaction se limite à la nature de la convention et à sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ce contrôle ne saurait exclure celui opéré par le juge du fond saisi d’une contestation de la validité de la transaction ou d’une demande d’inopposabilité aux tiers. Par conséquent, l’homologation judiciaire d’une transaction ne rend pas irrecevable une action paulienne visant à la déclarer inopposable. La Cour de cassation ajoute que la cassation du chef de dispositif relatif à l’irrecevabilité des demandes d’inopposabilité du protocole de conciliation et du protocole transactionnel entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif relatif à l’irrecevabilité de la demande d’inopposabilité de l’avenant au contrat de prêt, en raison du lien de dépendance nécessaire entre ces actes. De même, elle casse le chef de dispositif rejetant les demandes d’inopposabilité de l’acte de cession et du contrat de prêt, considérant que l’irrecevabilité prononcée par la cour d’appel n’a pas permis de rechercher si l’appauvrissement de la société Eyedea presse ne résultait pas de la succession des cinq actes litigieux.
Portée :
Cet arrêt clarifie l’articulation entre la procédure d’homologation d’une transaction et l’action paulienne. Il confirme que l’homologation, qui se limite à un contrôle formel et de conformité à l’ordre public, ne prive pas les créanciers de leur droit d’exercer une action paulienne pour contester l’opposabilité de la transaction. Il précise également l’étendue de la cassation par voie de conséquence en cas de lien de dépendance nécessaire entre différents chefs de dispositif.
Dispositif :
La Cour de cassation :
* Casse et annule partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Versailles.
* Déclare recevables les demandes d’inopposabilité du protocole de conciliation, du protocole transactionnel et de l’avenant au contrat de prêt.
* Casse le rejet des demandes d’inopposabilité de l’acte de cession et du contrat de prêt.
* Renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Versailles autrement composée.
* Condamne les sociétés Green Recovery II et Hachette Filipacchi presse aux dépens et au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Intérêt de l’arrêt :
Cet arrêt est important pour plusieurs raisons :
1. Clarification de l’articulation entre homologation et action paulienne : Il confirme que l’homologation d’une transaction ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action paulienne, assurant ainsi une protection effective des créanciers contre les actes frauduleux de leurs débiteurs.
2. Précision du contrôle du juge de l’homologation : L’arrêt rappelle que le contrôle du juge de l’homologation est limité et ne porte pas sur la validité ou l’opposabilité de la transaction aux tiers, laissant ainsi la porte ouverte à des actions ultérieures.
3. Conséquences sur la stratégie contentieuse : Cet arrêt incite les créanciers à ne pas se limiter aux voies de recours contre le jugement d’homologation, mais à envisager également l’action paulienne pour contester l’opposabilité de la transaction.
4. Portée de la cassation par voie de conséquence : La Cour de cassation rappelle les règles relatives à la cassation par voie de conséquence, notamment en cas de lien de dépendance nécessaire entre différents chefs de dispositif, ce qui a des implications pratiques importantes en matière de procédure civile.
5. Protection des droits des créanciers : L’arrêt renforce la protection des droits des créanciers en leur permettant d’attaquer les actes accomplis en fraude de leurs droits, même s’ils ont fait l’objet d’une homologation judiciaire. Cet arrêt est donc d’un grand intérêt pour les praticiens du droit des affaires, les avocats et les juristes d’entreprise, car il clarifie les règles applicables en matière d’action paulienne et d’homologation de transactions, et il a des implications importantes en matière de stratégie contentieuse et de protection des droits des créanciers.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.