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Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 18/06/2025, 492438, 492438, 18/06/2025

Note d’arrêt : Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 18/06/2025, 492438

Fiche technique :
* Titre : Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 18/06/2025, 492438
* Numéro : 492438
* Décision : Mentionné dans les tables du recueil Lebon
* Rapporteur : M. Arnaud Skzryerbak
* Rapporteur Public : Mme Céline Guibé
* Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX
* Date de lecture : 18 juin 2025

#Mots-clés: Abus de droit, soulte, report d’imposition, plus-value

Faits :
M. A… a réalisé un apport de titres de la société française Diframa à une société luxembourgeoise, Precafin, en 2013. Les titres, acquis initialement pour 3 811 euros, étaient évalués à 8 millions d’euros au moment de l’apport. En contrepartie, M. A… a reçu 10 000 actions de Precafin (valeur nominale de 728 euros) et une soulte de 720 000 euros, créditée sur son compte courant d’associé. Considérant que la soulte était inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, M. A… a placé la plus-value de 7 996 189 euros sous le régime du report d’imposition prévu par l’article 150-0 B ter du CGI, déclarant une plus-value réduite à 1 199 428 euros après application de l’abattement pour durée de détention de 85% prévu au 3° du I quater A de l’article 150-0 D du CGI. L’administration fiscale, estimant que la rémunération de l’apport par cette soulte constituait un abus de droit, a réévalué l’imposition du foyer fiscal de M. et Mme A… au titre de l’année 2013, en appliquant une majoration de 80 % pour abus de droit.

Procédure :
1. M. et Mme A… ont saisi le tribunal administratif de Lille pour obtenir la décharge ou la réduction des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ainsi que des pénalités.
2. Le tribunal administratif de Lille, par jugement du 21 avril 2022, a déchargé Mme A… des cotisations supplémentaires de contributions sociales et rejeté le surplus des demandes.
3. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Douai. M. et Mme A… ont également fait appel incident.
4. La cour administrative d’appel de Douai, par arrêt du 11 janvier 2024, a annulé l’article 1er du jugement du tribunal administratif, rétablissant l’imposition de Mme A…, et a rejeté l’appel principal de M. et Mme A… ainsi que leur appel incident.
5. M. et Mme A… ont formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Problème juridique :
Lorsque l’administration fiscale remet en cause, pour abus de droit, le bénéfice du report d’imposition d’une plus-value d’apport de titres à une société étrangère, en raison du versement d’une soulte, l’imposition immédiate de cette soulte doit-elle être calculée en appliquant également les abattements pour durée de détention prévus à l’article 150-0 D du code général des impôts ?

Solution :
Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai. Il juge que, lorsque l’administration ne remet pas en cause l’opération d’apport elle-même mais seulement le choix de la rémunérer par une soulte bénéficiant du report d’imposition, la remise en cause du report d’imposition de la plus-value d’apport, à concurrence du montant de la soulte, a pour conséquence l’imposition immédiate de cette soulte selon les règles applicables aux plus-values de valeurs mobilières, notamment en matière d’assiette. Par conséquent, l’abattement pour durée de détention prévu à l’article 150-0 D du CGI doit être appliqué au montant de la soulte soumise à imposition immédiate.

Portée :
Cet arrêt précise les modalités d’imposition d’une soulte versée lors d’un apport de titres à une société lorsque le report d’imposition est remis en cause pour abus de droit. Il confirme que les règles d’assiette applicables aux plus-values de valeurs mobilières, y compris les abattements pour durée de détention, doivent être prises en compte lors de l’imposition de la soulte.

Dispositif :
* Article 1er : Annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 11 janvier 2024.
* Article 2 : Renvoi de l’affaire devant la cour administrative d’appel de Douai.
* Article 3 : Condamnation de l’État à verser à M. et Mme A… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
* Article 4 : Notification de la décision à M. et Mme A… et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Intérêt de l’arrêt :
Cet arrêt est important car il clarifie le traitement fiscal des soultes versées lors d’opérations d’apport de titres lorsque l’administration fiscale invoque l’abus de droit. Il précise que la remise en cause du report d’imposition n’exonère pas l’administration de respecter les règles d’assiette des plus-values mobilières, notamment l’application des abattements pour durée de détention. En d’autres termes, l’administration ne peut pas imposer la soulte comme un revenu catégoriel distinct, mais doit l’intégrer dans le régime des plus-values mobilières, avec tous les avantages et les inconvénients que cela implique pour le contribuable. Cet arrêt limite donc la marge de manœuvre de l’administration fiscale dans ce type de situation et assure une application plus équitable de la loi fiscale. La cour administrative d’appel de Douai devra donc rejuger l’affaire en tenant compte de cette interprétation, potentiellement en diminuant l’imposition immédiate de la soulte.

Tom COLLET

Juriste fiscaliste et en droit des affaires. Je décortique la jurisprudence judiciaire et administrative et vous la propose quotidiennement sur mes plates-formes.