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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-10.219, Publié au bulletin

#Mots-clés: Concurrence déloyale, Risque de confusion, Impression d’ensemble, Base légale

Fiche technique de l’arrêt:

Titre : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-10.219, Publié au bulletin
Numéro : 24-10.219
Décision : Cassation partielle
Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto
Avocats : SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, SCP Delamarre et Jehannin, SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon
Date de lecture : 4 juin 2025

Faits:

La société L’Artisan glacier exerce une activité de fabrication et de vente de glaces, crèmes glacées, sorbets et entremets, principalement à destination des professionnels. La société L’Odyssée des glaces, anciennement associée à L’Artisan glacier, est active dans la vente en gros de matières premières pour la glace, l’installation de glaciers, la vente et la production de glaces et sorbets, distribuant auparavant les produits de L’Artisan glacier dans le sud de la France. Les sociétés Etablissements Arnaud et Co.ge.fob, spécialisées dans le commerce de gros de produits alimentaires pour les professionnels de la boulangerie-pâtisserie, de la restauration et des métiers de bouche en Savoie et Haute-Savoie, ont débuté une collaboration avec L’Artisan glacier en 2013 pour distribuer ses glaces. L’Artisan glacier reproche aux sociétés Etablissements Arnaud, Co.ge.fob et L’Odyssée des glaces une rupture brutale des relations commerciales établies, ainsi que des actes concertés de concurrence déloyale et de parasitisme dans la région Rhône-Alpes, les assignant en réparation de ses préjudices. Les actes de concurrence déloyale reprochés concernent principalement l’utilisation d’éléments visuels similaires sur les produits.

Procédure:

1. Assignation : La société L’Artisan glacier assigne les sociétés Etablissements Arnaud, Co.ge.fob et L’Odyssée des glaces en réparation de ses préjudices pour rupture brutale des relations commerciales établies, concurrence déloyale et parasitisme.
2. Décision de la Cour d’appel de Paris (8 novembre 2023) : La cour d’appel rejette l’intégralité des demandes de la société L’Artisan glacier au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. Elle considère que la reprise du logo et de la dénomination sociale est licite, que la forme des étiquettes et des pots est usuelle, et que la police d’écriture est banale.
3. Pourvoi en cassation : La société L’Artisan glacier forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Elle fait grief à l’arrêt de ne pas avoir examiné l’impression d’ensemble produite par les visuels en litige et de ne pas avoir recherché si les griefs invoqués, considérés dans leur ensemble, n’étaient pas de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public.
4. Arrêt de la Cour de cassation (4 juin 2025) : La Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il rejette les demandes de la société L’Artisan glacier au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

Problème juridique:

La reprise d’éléments graphiques et de présentation par une entreprise concurrente, qui pris individuellement peuvent être considérés comme licites ou usuels, peut-elle constituer un acte de concurrence déloyale si, considérés dans leur ensemble, ils sont de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public ?

Solution:

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel. Elle rappelle que, pour apprécier l’existence d’actes de concurrence déloyale, il incombe aux juges du fond de rechercher si la reprise d’éléments par une entreprise concurrente, même si ces éléments pris individuellement sont licites ou usuels, n’est pas de nature, lorsqu’ils sont considérés dans leur ensemble, à créer un risque de confusion dans l’esprit du public. La cour d’appel a donc manqué à son obligation de motivation en ne procédant pas à cette appréciation globale.

Portée:

Cet arrêt rappelle que l’appréciation de la concurrence déloyale ne doit pas se limiter à l’examen isolé de chaque élément litigieux. Il est impératif d’analyser l’impression d’ensemble qui se dégage des éléments repris par le concurrent pour déterminer s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public. La Cour de cassation réaffirme ainsi le principe selon lequel la concurrence, bien que libre, ne doit pas dégénérer en confusion préjudiciable. Cet arrêt souligne l’importance de la protection de l’image et de l’identité visuelle d’une entreprise, même en l’absence de protection spécifique (marque, droit d’auteur), dès lors qu’un risque de confusion est caractérisé.

Dispositif:

La Cour de cassation :

* Casse et annule partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Paris.
* Remet, sur les points cassés, l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
* Condamne les sociétés Co.ge.fob, Etablissements Arnaud et L’Odyssée des glaces aux dépens.
* Rejette les demandes formées par les sociétés Co.ge.fob, Etablissements Arnaud et L’Odyssée des glaces au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamne in solidum à payer à la société L’Artisan glacier la somme de 3 000 euros.

Intérêt de l’arrêt:

Cet arrêt est important pour plusieurs raisons :

* Il rappelle la méthode d’appréciation de la concurrence déloyale, qui doit être globale et tenir compte de l’impression d’ensemble.
* Il met en évidence la nécessité pour les juges du fond de rechercher si un risque de confusion existe dans l’esprit du public, même en présence d’éléments pris isolément licites ou usuels.
* Il renforce la protection des entreprises contre les pratiques de concurrence déloyale fondées sur la création d’un risque de confusion, même en l’absence de droits de propriété intellectuelle spécifiques.
* Il souligne que la simple antériorité d’usage d’un élément ne suffit pas à justifier sa reprise si celle-ci, combinée à d’autres éléments, crée un risque de confusion.
* Cet arrêt invite les entreprises à être vigilantes quant à l’utilisation de leur image et de leur identité visuelle par des concurrents et à agir en justice en cas de risque de confusion.
* Enfin, il rappelle l’équilibre délicat à trouver entre la liberté de la concurrence et la protection contre les pratiques déloyales. Les entreprises doivent donc veiller à se différencier de leurs concurrents tout en respectant les usages loyaux du commerce.

Tom COLLET

Juriste fiscaliste et en droit des affaires. Je décortique la jurisprudence judiciaire et administrative et vous la propose quotidiennement sur mes plates-formes.