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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-11.507, Publié au bulletin

#Mots-clés: Parasitisme, Déloyauté, Investissements, Notoriété

Fiche technique:
Titre : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-11.507, Inédit
Numéro : 24-11.507
Décision : Rejet
Rapporteur : Mme Sabotier
Avocat(s) : SARL Corlay, SAS Hannotin Avocats
Date de lecture : 4 juin 2025

Faits:
La société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS), exploitant la maison de vins de Champagne Veuve Clicquot, a assigné la société Wolfberger, Cave Coopérative Vinicole, Kuhri, Distillerie Wolfberger, Wolfberger Distillateur, Distillerie (Wolfberger Alsace Willm Kuhri), en parasitisme. MHCS reproche à Wolfberger d’avoir imité ses emballages (bouteilles recouvertes d’un manchon de papier fin argenté parsemé de motifs) et ses codes de communication/promotion utilisés pour ses champagnes Rich et Rich rosé, lancés en 2015 et 2016. MHCS estime que Wolfberger s’est placée dans son sillage en reproduisant ces caractéristiques pour commercialiser ses crémants d’Alsace. Les manchons des bouteilles MHCS sont argentés, brillants au soleil et scintillant la nuit avec un effet miroir. Ceux de Wolfberger sont de couleur métallisée mate. La société MHCS avait réalisé de lourds investissements dès décembre 2014 en terme de diffusion, communication, par tous les moyens graphiques, visuels, digitaux, réseaux sociaux ainsi qu’un lancement réunissant 115 invités dans les jardins du Pont Neuf, dont la vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux, puis le même investissement à partir de juin 2015 pour le Rich Rosé.

Procédure:
1. La société MHCS assigne la société Wolfberger en parasitisme.
2. Le tribunal de première instance accueille favorablement les demandes de MHCS.
3. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 8 novembre 2023, infirme le jugement de première instance.
4. La société MHCS forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel.

Problème juridique:
Un opérateur économique commet-il un acte de parasitisme lorsqu’il utilise des éléments similaires à ceux d’un concurrent, notamment en matière d’emballage et de communication, pour un produit similaire, en l’absence de notoriété particulière du produit du concurrent et dans le but de se conformer aux codes du marché ? La simple similarité des produits est-elle suffisante pour caractériser le parasitisme ? L’originalité est-elle une condition du parasitisme ? La preuve de la notoriété particulière d’un produit est-elle une condition nécessaire pour caractériser un acte de parasitisme ?

Solution:
La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société MHCS. Elle estime que la cour d’appel a correctement déduit que la société Wolfberger n’avait pas cherché à s’inscrire dans le sillage de MHCS. Elle relève que Wolfberger avait agi dans le but de se conformer aux codes du marché émergent des vins pétillants destinés à l’élaboration de cocktails et que les bouteilles en cause ne produisaient pas la même impression visuelle d’ensemble. La Cour de cassation souligne que la société MHCS ne pouvait s’approprier les éléments visuels appartenant à l’univers des cocktails. Elle précise que la bouteille litigieuse de Wolfberger avait été lancée en même temps que MHCS lançait sa campagne publicitaire relative à sa gamme Rich et Rich rosé, et non postérieurement.

Portée:
Cet arrêt rappelle les conditions de la caractérisation du parasitisme. Il confirme que le parasitisme économique est une forme de déloyauté qui consiste à se placer dans le sillage d’un concurrent pour tirer profit de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements. Cependant, il souligne que la simple similarité des produits ne suffit pas à caractériser le parasitisme. Il est nécessaire d’identifier une valeur économique individualisée et de démontrer une volonté de se placer dans le sillage du concurrent. L’arrêt précise également que la notoriété particulière du produit du concurrent est un élément important à prendre en compte. De plus, la cour souligne que se conformer aux codes du marché n’est pas constitutif d’un acte de parasitisme.

Dispositif:
La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS). Elle condamne MHCS aux dépens et rejette sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle condamne MHCS à payer à la société Wolfberger la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Intérêt de l’arrêt:
Cet arrêt est intéressant à plusieurs titres pour les professionnels du droit des affaires et du droit de la propriété intellectuelle.
1. Rappel des conditions du parasitisme: Il réaffirme les éléments constitutifs du parasitisme économique, notamment la nécessité d’identifier une valeur économique individualisée et la volonté de se placer dans le sillage d’un concurrent. Il met en exergue que la simple similarité des produits ne suffit pas à caractériser le parasitisme, ce qui permet de nuancer l’appréciation de ce concept.
2. Absence de nécessité de notoriété absolue: L’arrêt semble indiquer que, bien que la notoriété de la victime soit un élément à considérer, son absence ne fait pas nécessairement obstacle à la qualification de parasitisme, mais qu’elle doit être combinée avec d’autres éléments. Dans le cas d’espèce, la cour a considéré que l’absence de notoriété avérée du champagne Rich au moment des faits était un argument pertinent.
3. Contexte sectoriel: L’arrêt prend en compte les codes du marché et les pratiques courantes du secteur d’activité concerné. Il souligne que le fait de se conformer aux codes du marché ne constitue pas nécessairement un acte de parasitisme, ce qui est une information importante pour les entreprises qui souhaitent se positionner sur un marché existant.
4. Appréciation globale: La Cour de cassation insiste sur la nécessité d’une appréciation globale des éléments en cause. Elle rappelle que les juges du fond doivent examiner séparément chaque élément invoqué par la victime, mais qu’ils doivent également les appréhender dans leur globalité afin de déterminer si les produits en cause produisent la même impression visuelle d’ensemble.
5. Chronologie: L’arrêt met en évidence l’importance de la chronologie des faits. La Cour de cassation souligne que la société Wolfberger avait lancé sa bouteille litigieuse en même temps que la société MHCS lançait sa campagne publicitaire relative à sa gamme Rich et Rich rosé, et non postérieurement, ce qui exclut l’intention de se placer dans le sillage de cette dernière.
En conclusion, cet arrêt apporte des clarifications importantes sur la notion de parasitisme économique et rappelle les conditions de sa mise en œuvre. Il souligne l’importance d’une appréciation globale des éléments en cause, en tenant compte du contexte sectoriel et de la chronologie des faits. Il constitue donc une référence utile pour les praticiens du droit confrontés à des litiges en matière de concurrence déloyale.

Tom COLLET

Juriste fiscaliste et en droit des affaires. Je décortique la jurisprudence judiciaire et administrative et vous la propose quotidiennement sur mes plates-formes.