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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 23-22.511, Publié au bulletin

#Mots-clés: Publicité comparative, Caractéristiques essentielles, Information trompeuse, Référé

Fiche technique de l’arrêt:

Titre: Publicité comparative et caractère manifestement illicite.
Numéro: 23-22.511
Décision: Cassation partielle et rejet.
Rapporteur: M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire.
Rapporteur Public: Mme Luc, premier avocat général.
Avocat(s): SARL Cabinet François Pinet, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet.
Date de lecture: 4 juin 2025.

Faits:

La SARL Fréquence Bretagne Sud (Jaime radio) et la SARL Media bonheur (Radio bonheur) sont deux sociétés exploitant des radios locales sur la bande FM, respectivement dans le pays de Lorient et en Bretagne. Selon une étude Médiamétrie de 2021, Radio bonheur est la première radio locale à Lorient avec 8 000 auditeurs quotidiens (3,3 % de part d’audience), tandis que Jaime radio compte 6 000 auditeurs quotidiens (1,2 % de part d’audience). Le 14 mars 2022, Media bonheur assigne en référé Fréquence Bretagne Sud devant le président du tribunal de commerce, contestant le caractère manifestement illicite des slogans publicitaires utilisés par Jaime radio, notamment sur Internet. Ces slogans affirment que Jaime radio est “la radio locale n° 1” de Lorient et de sa région.

Procédure:

1. 14 mars 2022 : La société Media bonheur assigne en référé la société Fréquence Bretagne Sud devant le président du tribunal de commerce.
2. 19 septembre 2023 : La cour d’appel de Rennes rend un arrêt.
3. La société SARL Fréquence Bretagne Sud forme un pourvoi principal.
4. La société Media bonheur forme un pourvoi incident contre le même arrêt.
5. 8 avril 2025 : Audience publique devant la chambre commerciale de la Cour de cassation.
6. 4 juin 2025 : La Cour de cassation rend son arrêt, rejetant le pourvoi principal et cassant partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Rennes.

Problème juridique:

Une publicité qui se présente comme “la radio locale n° 1” d’une zone géographique donnée, sans autre précision, constitue-t-elle une publicité comparative au sens de l’article L. 122-1 du code de la consommation, et si oui, cette publicité est-elle licite si elle ne compare pas objectivement des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives des services offerts ?

Solution:

La Cour de cassation rejette le pourvoi principal et casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel. Elle considère que la mention « La radio locale n° 1 de Lorient, Bretagne Sud » constitue une publicité comparative car elle se réfère implicitement aux services de radio locale offerts par les concurrents dans la même zone géographique, les rendant concrètement identifiables par les auditeurs. La Cour estime que cette mention ne compare pas objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces services, violant ainsi l’article L. 122-1 du code de la consommation et l’article 873 du code de procédure civile.

Portée:

Cet arrêt clarifie la notion de publicité comparative implicite et rappelle l’importance de respecter les exigences de l’article L. 122-1 du code de la consommation. Il souligne que même une allégation de supériorité générale, sans comparaison objective de caractéristiques spécifiques, peut être qualifiée de publicité comparative et être jugée illicite si elle est trompeuse ou de nature à induire en erreur.

Dispositif:

La Cour de cassation :

* Rejette le pourvoi principal de la société SARL Fréquence Bretagne Sud.
* Casse et annule partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, en ce qu’il rejette les demandes de la société Media bonheur concernant l’interdiction des slogans litigieux, la publication de la décision sur le site Internet de Jaime radio, la publication de la décision dans deux journaux, et la limitation de la condamnation de la société Fréquence Bretagne Sud à 10 000 euros de dommages et intérêts provisionnels.
* Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt de la cour d’appel et les renvoie devant la cour d’appel de Caen.
* Condamne la société SARL Fréquence Bretagne Sud aux dépens et à verser 3 000 euros à la société Media bonheur au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Intérêt de l’arrêt:

Cet arrêt présente un intérêt pratique significatif pour les professionnels de la publicité et les entreprises. Il rappelle que l’utilisation de superlatifs (“n° 1”) dans la publicité est susceptible d’être qualifiée de publicité comparative, même en l’absence de mention explicite d’un concurrent. L’arrêt met en évidence la nécessité de fonder ces allégations sur des critères objectifs, pertinents, vérifiables et représentatifs des services ou produits comparés. A défaut, l’annonceur s’expose à des actions en justice pour publicité trompeuse ou illicite, avec des conséquences financières importantes (dommages et intérêts, interdiction de diffusion, publication de la décision). Il est donc crucial pour les entreprises de veiller à la conformité de leurs publicités avec les dispositions du Code de la consommation, notamment en s’assurant que toute comparaison est objective et fondée sur des données vérifiables. Cette décision renforce la protection des consommateurs et la loyauté de la concurrence dans le secteur de la publicité.

Tom COLLET

Juriste fiscaliste et en droit des affaires. Je décortique la jurisprudence judiciaire et administrative et vous la propose quotidiennement sur mes plates-formes.