Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-10.072, Publié au bulletin
#Mots-clés: Prescription, Faute, Responsabilité, TVA
Fiche technique de l’arrêt:
Titre: Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-10.072, Inédit
Numéro: 305, Pourvoi n° U 24-10.072
Décision: Rejet
Rapporteur: Mme Comte, conseiller référendaire
Rapporteur Public: Mme Luc, premier avocat général
Avocat(s): SARL Le Prado – Gilbert, SCP Célice, Texidor, Périer
Date de lecture: 4 juin 2025
Faits:
La société Gaz Réseau Distribution de France (GRDF), venant aux droits de la société Gaz de France, a constaté le 4 février 2014, par l’intermédiaire d’un de ses techniciens d’exploitation, une consommation de gaz anormale. Cette consommation était relevée à un point de comptage réputé inactif, situé dans des locaux occupés depuis le 1er janvier 2006 par la société Stricher, filiale de la société Groupe petit forestier. Or, la société Stricher n’avait jamais conclu de contrat de fourniture de gaz.
Procédure:
1. Le 1er février 2019, la société GRDF a assigné les sociétés Stricher et Groupe petit forestier en paiement, invoquant une faute délictuelle. GRDF réclamait le paiement de la consommation de gaz non facturée depuis le 1er janvier 2006.
2. La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 15 septembre 2023, a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Stricher et Groupe petit forestier, relative à la prescription de l’action engagée par GRDF. Elle a également condamné solidairement les sociétés Stricher et Groupe petit forestier à payer à GRDF la somme de 163 267,36 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2016, ainsi que la TVA sur cette somme.
3. Les sociétés Stricher et Groupe petit forestier ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Elles invoquaient trois moyens de cassation portant sur la prescription de l’action, l’existence d’une faute de la société GRDF et l’assujettissement à la TVA de l’indemnité versée.
Problème juridique:
L’action en responsabilité délictuelle engagée par GRDF est-elle prescrite ? La société GRDF a-t-elle commis une faute de nature à exonérer les sociétés Stricher et Groupe petit forestier de leur responsabilité ? L’indemnité allouée à GRDF doit-elle être assujettie à la TVA ?
Solution:
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les sociétés Stricher et Groupe petit forestier. Elle considère que :
* L’action en responsabilité délictuelle engagée par GRDF n’est pas prescrite, car GRDF n’a eu connaissance des faits lui permettant d’agir qu’à compter du 4 février 2014, date de la constatation de la consommation de gaz anormale. Aucune disposition légale ou réglementaire n’oblige GRDF à contrôler les compteurs réputés inactifs.
* La faute intentionnelle de la société Stricher, qui a délibérément soutiré du gaz pendant près de huit ans sans payer, est la cause exclusive du dommage subi par GRDF. La cour d’appel n’était pas tenue de rechercher si GRDF avait commis une faute.
* L’indemnité allouée à GRDF est soumise à la TVA, car elle constitue la contrepartie d’une prestation de services (la fourniture de gaz) individualisée.
Portée:
Cet arrêt précise les obligations des distributeurs de gaz en matière de contrôle des compteurs et réaffirme le principe selon lequel la faute intentionnelle de l’auteur d’un dommage peut exonérer la victime de toute responsabilité. Il confirme également l’assujettissement à la TVA des indemnités qui constituent la contrepartie d’une prestation de services.
Dispositif:
La Cour de cassation rejette le pourvoi des sociétés Stricher et Groupe petit forestier et les condamne aux dépens. Elle rejette également leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamne à payer à la société GRDF la somme de 3 000 euros.
Intérêt de l’arrêt:
Cet arrêt présente un intérêt significatif pour les professionnels du droit des sociétés et du droit fiscal, ainsi que pour les entreprises du secteur de l’énergie. Il clarifie plusieurs points importants :
* Point de départ de la prescription en matière de responsabilité délictuelle : L’arrêt rappelle que le point de départ de la prescription court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir. Il précise, dans le cas spécifique de la distribution de gaz, qu’il n’existe pas d’obligation générale de contrôle des compteurs inactifs pesant sur le distributeur. L’absence de contrôle systématique ne constitue donc pas en soi une faute susceptible de repousser le point de départ de la prescription.
* Notion de faute exonératoire : La Cour de cassation insiste sur le caractère intentionnel de la faute commise par la société Stricher. Cette faute, qualifiée de “choix délibéré” de soutirer du gaz sans payer, est considérée comme la cause exclusive du dommage, exonérant ainsi GRDF de toute responsabilité potentielle. Cette décision rappelle l’importance de l’analyse de la causalité dans les affaires de responsabilité civile.
* Assujettissement à la TVA des indemnités : L’arrêt confirme l’application de la TVA aux indemnités versées en réparation d’un dommage, dès lors que ces indemnités constituent la contrepartie d’une prestation de services. Cette précision est cruciale pour les entreprises, car elle a un impact direct sur le calcul des montants à réclamer et sur la gestion de la TVA collectée et déductible. La Cour souligne que l’indemnité, bien que fixée par le juge, reste liée à la fourniture de gaz et donc taxable. L’argument selon lequel GRDF pourrait récupérer la TVA est écarté, car elle ne peut la récupérer sur d’autres opérateurs.
En conclusion, cet arrêt constitue une illustration concrète de l’application des principes de la responsabilité civile et de la TVA dans un contexte spécifique, celui de la distribution de gaz. Il rappelle la nécessité pour les entreprises de veiller à la régularité de leurs contrats de fourniture d’énergie et souligne l’importance d’une gestion rigoureuse de la TVA sur les indemnités perçues.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.