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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, financière et économique, 4 juin 2025, 23-23.866

Fiche technique :
Titre : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, financière et économique, 4 juin 2025, 23-23.866
Numéro de pourvoi : 23-23.866
Décision : Rejet
Rapporteur : Mme Bellino, conseiller référendaire
Rapporteur Public : (Non mentionné)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol (pour la société TMP), SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon (pour la société JBG-2 Sp. Z O.O.)
Date de lecture : 4 juin 2025

#Mots-clés: Inexécution, Préventive, Vienne, Convention

Faits :
La société de droit polonais JBG-2 Sp. Z O.O. (ci-après “JBG-2”) a assigné la société française Triage matériel professionnel – TMP (ci-après “TMP”) en paiement de neuf factures relatives à la vente de meubles frigorifiques et de pièces détachées. Ces factures ont été émises entre le 11 juin et le 31 juillet 2015.

Procédure :
1. JBG-2 assigne TMP en paiement de neuf factures (vente de meubles frigorifiques et pièces détachées) émises entre le 11 juin et le 31 juillet 2015.
2. TMP oppose l’exception d’inexécution préventive prévue à l’article 71 de la Convention de Vienne.
3. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 2 octobre 2023, considère que TMP ne peut invoquer l’exception d’inexécution préventive et la condamne à payer la somme de 204 707,4 euros, majorée des intérêts de retard.
4. TMP forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Elle articule cinq moyens, dont un relatif à l’interprétation de l’article 71 de la Convention de Vienne.
5. La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Problème juridique :
La société TMP pouvait-elle valablement se prévaloir de l’exception d’inexécution préventive prévue par l’article 71 de la Convention de Vienne pour suspendre le paiement des factures émises entre le 11 juin et le 31 juillet 2015, en raison d’inexécutions antérieures relatives à d’autres livraisons ? Plus précisément, la Cour devait déterminer si l’exception d’inexécution préventive peut être invoquée en se basant sur des inexécutions antérieures et si la notification de cette exception était conforme aux exigences de la Convention de Vienne.

Solution :
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle confirme que la société TMP ne justifie pas des conditions prévues à l’article 71 de la Convention de Vienne pour suspendre son obligation de paiement. La Cour d’appel a relevé que TMP n’apportait aucun élément de nature à caractériser une probable inexécution par JBG-2 de son obligation de livraison conforme, fait ou motif qui serait apparu entre la date de validation des commandes pro-forma et la date limite de paiement des factures litigieuses. Les juges du fond ont considéré que les défauts de conformité allégués relatifs à des livraisons antérieures ne pouvaient justifier la suspension du paiement de marchandises distinctes, commandées en toute connaissance desdites non-conformités. La Cour de cassation valide ce raisonnement.

Portée :
Cet arrêt rappelle les conditions strictes d’application de l’exception d’inexécution préventive prévue par l’article 71 de la Convention de Vienne. Il précise que cette exception ne peut être invoquée sur la base d’inexécutions antérieures si l’acheteur avait connaissance de ces problèmes au moment de passer de nouvelles commandes. L’arrêt souligne l’importance de démontrer un risque d’inexécution contemporain à l’obligation dont l’exécution est suspendue. En d’autres termes, il ne suffit pas d’invoquer des problèmes passés pour justifier un refus de paiement actuel.

Dispositif :
La Cour de cassation REJETTE le pourvoi formé par la société Triage matériel professionnel – TMP. Elle condamne TMP aux dépens et rejette sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, la condamnant à payer à la société JBG-2 la somme de 3 000 euros.

Intérêt de l’arrêt :
L’intérêt de cet arrêt réside dans sa clarification des conditions d’application de l’article 71 de la Convention de Vienne, relatif à l’exception d’inexécution préventive. Il est crucial pour les praticiens du droit du commerce international, car il rappelle que :

1. L’exception d’inexécution préventive doit être justifiée par des faits contemporains au manquement invoqué. Il ne suffit pas d’invoquer des problèmes antérieurs, surtout si l’acheteur avait connaissance de ces problèmes et a continué à passer des commandes. La Cour insiste sur le fait qu’il doit exister un risque probable d’inexécution “entre la date de validation par elle des commandes pro-forma établies par la société JBG-2 et la date limite de paiement des factures en litige.”
2. L’appréciation des conditions d’application de l’article 71 de la Convention de Vienne relève du pouvoir souverain des juges du fond, sous réserve de l’absence de dénaturation.
3. L’arrêt confirme implicitement que les contrats de vente successifs ne permettent pas, en eux-mêmes, de justifier une exception d’inexécution pour des paiements futurs sur la base de manquements passés. Une analyse au cas par cas est nécessaire pour apprécier si les conditions de l’article 71 sont remplies pour chaque transaction.
4. En pratique, cet arrêt incite les acheteurs à être particulièrement vigilants dans leurs relations commerciales internationales. S’ils rencontrent des problèmes de qualité ou de conformité, ils doivent réagir rapidement, refuser les marchandises non conformes et, le cas échéant, suspendre les commandes futures. Continuer à commander des marchandises en connaissant les problèmes et en espérant pouvoir invoquer une exception d’inexécution ultérieurement est une stratégie risquée, comme le démontre cet arrêt.

L’article 71 de la Convention de Vienne sur le droit des traités établit les conséquences juridiques de la nullité d’un traité qui est en conflit avec une norme impérative du droit international général (ou jus cogens). Lorsque cette situation se présente, les parties au traité sont tenues d’éliminer autant que possible les effets de tout acte accompli en se basant sur le traité en question, et elles doivent en outre s’assurer que leurs relations mutuelles sont rendues conformes à la norme impérative de jus cogens concernée. En bref, cet article vise à annuler non seulement le traité lui-même, mais aussi ses répercussions, afin de garantir le respect des principes fondamentaux et inaliénables du droit international.

Tom COLLET

Juriste fiscaliste et en droit des affaires. Je décortique la jurisprudence judiciaire et administrative et vous la propose quotidiennement sur mes plates-formes.