Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-12.341, Inédit
#Mots-clés: Concurrence déloyale, Trouble manifestement illicite, Contrat de distribution, confusion
Fiche technique de l’arrêt:
Titre : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 juin 2025, 24-12.341, Inédit
Numéro de pourvoi : 24-12.341
Décision : Cassation partielle
Rapporteur : Mme Sabotier, conseiller
Avocat(s) : Me Soltner, SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers
Date de lecture : 4 juin 2025
Faits:
La société Salola commercialise des matériaux d’étanchéité pour bâtiments, distribués via divers canaux, dont des grossistes spécialisés comme la société Quincaillerie Setin (Setin). Un partenariat existait entre Salola et Setin.
Le 21 juin 2022, Salola a notifié à Setin la fin de leur partenariat, prenant effet au 31 décembre 2022.
En novembre 2022, Salola a constaté que Setin proposait à la vente, sur ses sites web et dans son catalogue 2023/2024, les produits de son concurrent direct, la société Nuuk. Setin utilisait les visuels et références des produits Salola, créant une confusion.
Procédure:
Assignation en référé: Salola a assigné Setin et Nuuk en référé pour concurrence déloyale.
Cour d’appel de Douai (21 décembre 2023): La cour d’appel a rejeté les demandes de Salola fondées sur la concurrence déloyale. Elle a considéré que Salola et Setin n’étaient pas en situation de concurrence et que Setin pouvait utiliser les éléments distinctifs de Salola compte tenu de leur ancien contrat de distribution. Elle a aussi estimé que le trouble avait cessé avant l’audience de référé.
Pourvoi en cassation: Salola a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai.
Problème juridique:
L’utilisation par un ancien distributeur (Setin) des visuels et références des produits d’un fournisseur (Salola) pour commercialiser les produits d’un concurrent (Nuuk) constitue-t-elle un trouble manifestement illicite au titre de la concurrence déloyale, justifiant des mesures conservatoires en référé, même en l’absence de situation de concurrence directe entre le fournisseur et le distributeur, et nonobstant l’existence d’un ancien contrat de distribution ? De plus, la cour d’appel a-t-elle suffisamment motivé sa décision en ne recherchant pas si des actes de concurrence déloyale persistaient malgré la cessation des agissements initiaux ?
Solution:
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Douai. Elle rappelle que :
Une situation de concurrence directe n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale, qui exige seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice. La cour d’appel a donc violé les articles 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil en retenant l’absence de situation de concurrence entre Salola et Setin.
L’existence d’un contrat entre les parties n’exclut pas la concurrence déloyale. La cour d’appel a statué par des motifs impropres à exclure le caractère fautif de l’utilisation du nom, des signes distinctifs, des références et des visuels de Salola pour commercialiser les produits d’un concurrent, violant ainsi les mêmes articles.
La cour d’appel n’a pas suffisamment recherché si des actes de concurrence déloyale persistaient, notamment via le catalogue papier mentionnant des produits Salola avec des références identiques à ceux des produits Nuuk. Elle a donc privé sa décision de base légale au regard des articles 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil.
Portée:
Cet arrêt clarifie les conditions d’application de l’action en concurrence déloyale, notamment en référé. Il réaffirme que :
L’absence de relation de concurrence directe n’est pas un obstacle à l’action en concurrence déloyale, dès lors qu’il existe des faits fautifs générant un préjudice.
L’existence d’un contrat antérieur entre les parties ne légitime pas l’utilisation abusive des signes distinctifs d’un ancien partenaire pour promouvoir les produits d’un concurrent.
Le juge des référés doit rechercher si des actes de concurrence déloyale persistent au moment où il statue, et ne peut se contenter de constater la cessation des agissements initiaux.
Dispositif:
La Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Douai, sauf sur des points relatifs à l’irrecevabilité de certaines preuves. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Amiens. La société Quincaillerie Setin est condamnée aux dépens et à verser 3 000 euros à la société Salola au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Intérêt de l’arrêt:
Pour les entreprises: Cet arrêt rappelle aux entreprises, en particulier celles ayant recours à des réseaux de distribution, qu’elles peuvent agir en concurrence déloyale contre leurs anciens distributeurs qui utiliseraient abusivement leurs signes distinctifs pour promouvoir les produits de concurrents, même en l’absence de relation de concurrence directe. Il souligne l’importance de surveiller les agissements des anciens partenaires, y compris après la fin des contrats, et de rassembler des preuves de la persistance d’actes de concurrence déloyale.
Pour les praticiens: Cet arrêt clarifie les conditions de l’action en référé pour concurrence déloyale. Il rappelle que le juge doit rechercher la persistance d’un trouble manifestement illicite au moment où il statue, et qu’il ne peut se contenter de constater la cessation des agissements initiaux. Il met en évidence l’importance de la motivation des décisions de justice en matière de concurrence déloyale, et la nécessité pour les juges du fond de rechercher si tous les éléments constitutifs de la faute sont réunis.
Pour la jurisprudence: Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de concurrence déloyale, qui privilégie une approche pragmatique et concrète de la notion de faute. Il rappelle que la concurrence déloyale peut être caractérisée par tout agissement contraire aux usages loyaux du commerce, et qu’elle n’est pas nécessairement subordonnée à une situation de concurrence directe entre les parties.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.