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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juin 2025, 24-13.697, Publié au bulletin

#Mots-clés: Devoir vigilance, Anomalie apparente, Confirmation, Personne habilitée

Fiche technique de l’arrêt:

Titre: Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juin 2025, 24-13.697, Publié au bulletin
Numéro: 24-13.697
Décision: Cassation
Rapporteur: M. Calloch
Rapporteur Public: Mme Guinamant
Avocat(s): SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SAS Boucard-Capron-Maman
Date de lecture: 12 juin 2025

Faits:

La société Ouest Acro (ci-après “la Société”), titulaire d’un compte bancaire auprès de la Caisse Fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie (ci-après “la Banque”), avait accordé un mandat à la société Bara Investissement pour gérer ses comptes bancaires à distance, par le biais d’une extension de contrat de banque à distance.
Le 13 mars 2020, la Société a constaté qu’un employé de la société Bara Investissement avait frauduleusement ordonné onze virements bancaires, suite à une escroquerie dite “au président”*. Ces virements avaient été effectués sans l’accord exprès du dirigeant de la Société ou de son directeur financier. La Société a subi un préjudice financier important du fait de ces virements frauduleux. Malgré l’absence d’autorisation expresse des dirigeants, les virements avaient été validés et exécutés par la Banque. La Société a mis en cause la responsabilité de la Banque, lui reprochant un manquement à son devoir de vigilance.

  • L’escroquerie dite “au président”

L’escroquerie dite “au président” est une fraude par ingénierie sociale qui cible les entreprises. Un escroc se fait passer pour un dirigeant (le “président”) ou une figure d’autorité, et contacte un employé (souvent du service financier).

Il met la victime sous forte pression psychologique et invente un scénario urgent et confidentiel(acquisition secrète, contrôle fiscal, etc.) pour justifier un virement bancaire exceptionnel et immédiat vers un compte frauduleux. La victime, pensant agir pour le bien de l’entreprise, exécute le virement, causant des pertes financières importantes. La prévention repose sur la sensibilisation des employés et des procédures de vérification strictes avant tout paiement inhabituel.

Procédure:

1. Première Instance: Non mentionnée dans l’arrêt.

2. Cour d’Appel d’Angers (23 janvier 2024): La Cour d’Appel a condamné la Banque à verser des dommages et intérêts à la Société, considérant que la Banque avait manqué à son devoir de vigilance en n’effectuant pas de vérifications suffisantes auprès des dirigeants de la Société, malgré les anomalies apparentes des ordres de virement.

3. Pourvoi en Cassation (Banque – Pourvoi principal): La Banque s’est pourvue en cassation contre cet arrêt, contestant sa condamnation et arguant qu’elle avait satisfait à son devoir de vigilance en contactant et en obtenant confirmation d’une personne habilitée de la société Ouest Acro, à savoir M. [U].

4. Pourvoi Incident (Société Ouest Acro): La Société a également formé un pourvoi incident, qui a été rejeté par la Cour de Cassation en application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile.

Problème juridique:

La question centrale soumise à la Cour de Cassation était de savoir si une banque, confrontée à des ordres de virement présentant des anomalies apparentes, manque à son devoir de vigilance lorsqu’elle se contente de vérifier l’authenticité de l’ordre auprès d’une personne habilitée à émettre des ordres de paiement, sans contacter directement les dirigeants de la société cliente, et si une telle vérification auprès d’une personne habilitée exonère la banque de sa responsabilité.

Solution:

La Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel d’Angers. Elle a estimé que la Cour d’Appel aurait dû rechercher si la Banque avait satisfait à son devoir de vigilance en obtenant une confirmation de la part d’une personne habilitée à émettre des ordres de paiement, avant de conclure à un manquement à ce devoir. En d’autres termes, la Cour de Cassation a considéré que la vérification auprès d’une personne habilitée était un élément pertinent à prendre en compte pour apprécier le respect du devoir de vigilance de la banque.

Portée:

Cet arrêt précise les contours du devoir de vigilance des banques en matière d’exécution d’ordres de virement. Il indique qu’en présence d’anomalies apparentes, la banque ne peut se contenter d’exécuter l’ordre sans vérification supplémentaire. Cependant, la Cour de Cassation nuance cette obligation en précisant que la vérification auprès d’une personne habilitée au sein de l’entreprise cliente constitue un élément important pour apprécier si la banque a satisfait à son devoir de vigilance. L’arrêt ne définit pas précisément ce qui constitue une “personne habilitée”, laissant cette appréciation aux juges du fond.

Dispositif:

La Cour de Cassation a rendu la décision suivante:

* Casse et annule l’arrêt de la Cour d’Appel d’Angers du 23 janvier 2024.
* Remet l’affaire devant la Cour d’Appel de Poitiers.
* Condamne la Société Ouest Acro aux dépens.
* Rejette la demande de la Société Ouest Acro au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et la condamne à verser à la Caisse Fédérale du Crédit Mutuel la somme de 3 000 euros.

Intérêt de l’arrêt:

Cet arrêt présente un intérêt significatif pour les professionnels du droit bancaire et les entreprises. Il met en lumière l’importance du devoir de vigilance des banques face aux risques de fraude, tout en reconnaissant qu’une vérification appropriée auprès d’une personne habilitée peut, dans certaines circonstances, exonérer la banque de sa responsabilité.

Pour les banques, il est essentiel de mettre en place des procédures de contrôle interne robustes pour détecter les anomalies apparentes dans les ordres de virement et de s’assurer de l’identité et de l’habilitation des personnes donnant les ordres. Il est également important de documenter les vérifications effectuées afin de pouvoir prouver le respect du devoir de vigilance en cas de litige. La simple exécution d’un ordre émanant d’une personne ayant le pouvoir d’engager la société ne suffit pas si des signaux d’alerte sont présents.

Pour les entreprises, il est crucial de définir clairement les pouvoirs des personnes habilitées à effectuer des opérations bancaires et de mettre en place des procédures de contrôle interne pour prévenir les fraudes. Il est également important de sensibiliser les employés aux risques d’escroquerie et de les former à la détection des tentatives de fraude. En cas de suspicion de fraude, il est impératif d’alerter immédiatement la banque et de prendre toutes les mesures nécessaires pour limiter les pertes financières. L’arrêt rappelle que la vigilance doit être partagée entre la banque et son client.

Tom COLLET

Juriste fiscaliste et en droit des affaires. Je décortique la jurisprudence judiciaire et administrative et vous la propose quotidiennement sur mes plates-formes.