Conseil d’État, 9ème chambre, 24/06/2025, 487864, Inédit au recueil Lebon
Conseil d’État, 9ème chambre, 24/06/2025, 487864, Inédit au recueil Lebon
Rapporteur : M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur Public : M. Bastien Lignereux
Avocats : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS
Date de lecture : 24 juin 2025
#Mots-clés: Procédure fiscale, Proposition rectification, Délai, Motivation
Faits :
M. A… B… était associé majoritaire et gérant de la société L’Escale. À l’issue d’une vérification de comptabilité de la société, l’administration fiscale a réintégré dans les bases imposables à l’impôt sur le revenu de M. B…, au titre des années 2010, 2011 et 2012, les revenus réputés distribués par la société correspondant à ses résultats non déclarés. La rectification était motivée par les résultats de la vérification de comptabilité de la société L’Escale. La proposition de rectification concernant M. B… faisait référence à celle adressée à la société L’Escale.
Procédure :
1. M. B… a saisi le tribunal administratif de Grenoble pour demander la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités correspondantes.
2. Le tribunal administratif de Grenoble, par jugement du 23 novembre 2018, a constaté un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements intervenus en cours d’instance, prononcé la décharge partielle des impositions et pénalités en litige, et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B….
3. M. B… a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Lyon.
4. La cour administrative d’appel de Lyon, par arrêt du 1er avril 2021, a annulé l’article 4 du jugement du tribunal administratif et prononcé la décharge des impositions et pénalités restant en litige.
5. Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
6. Le Conseil d’État, par décision du 20 octobre 2022, a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon et renvoyé l’affaire devant cette même cour.
7. La cour administrative d’appel de Lyon, par arrêt du 6 juillet 2023, a de nouveau annulé l’article 4 du jugement du tribunal administratif de Grenoble et prononcé la décharge des impositions et pénalités restant en litige.
8. Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a formé un nouveau pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, contestant les articles 1er et 2 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon.
Problème juridique :
L’administration fiscale peut-elle valablement motiver une proposition de rectification adressée à une personne physique, associée et gérante d’une société, en se référant à une proposition de rectification notifiée à cette société, sans s’assurer que la personne physique a effectivement reçu cette dernière proposition préalablement ou concomitamment à celle la concernant personnellement, et sans l’informer d’un nouveau délai de réponse suite à la communication tardive de la proposition à la société ?
Solution :
Le Conseil d’État rejette le pourvoi du ministre. Il considère que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que M. B… n’avait pas été mis à même de formuler ses observations sur les rectifications le concernant à titre personnel dans le délai de trente jours prévu par les dispositions des articles L. 11, L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales. Cela, même si M. B… avait disposé, au plus tard le 17 février 2014, de la proposition de rectification destinée à la société L’Escale, dès lors que l’administration n’a pas informé M. B… qu’il disposait, à compter de cette date, d’un nouveau délai pour présenter ses observations sur les rectifications le concernant à titre personnel. Le Conseil d’État juge que la Cour a souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis, sans les dénaturer, et sans méconnaître l’autorité de la chose jugée par le Conseil d’État dans sa décision du 20 octobre 2022.
Portée :
Cet arrêt rappelle l’importance du respect des droits du contribuable lors d’une procédure de rectification. L’administration fiscale doit s’assurer que le contribuable dispose de toutes les informations nécessaires pour comprendre les rectifications envisagées et formuler ses observations dans le délai légal. Le simple fait de se référer à une proposition de rectification adressée à une société, même si le contribuable en est le gérant, ne suffit pas à garantir le respect de ces droits. L’administration doit s’assurer de la réception effective de la proposition de rectification initiale et, en cas de communication tardive, informer le contribuable d’un nouveau délai pour répondre.
Dispositif :
Article 1er : Le pourvoi du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à M. B… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. A… B….
Intérêt de l’arrêt :
Cet arrêt est important pour plusieurs raisons :
- Il précise les conditions dans lesquelles l’administration fiscale peut se référer à un document annexe, en l’espèce une proposition de rectification adressée à un tiers, pour motiver une proposition de rectification. Il souligne que l’administration doit s’assurer de la réception effective de ce document par le contribuable concerné par la nouvelle proposition.
- Il rappelle que le délai de réponse du contribuable à une proposition de rectification est un droit essentiel. Si l’administration ne respecte pas ce délai, la procédure d’imposition peut être considérée comme irrégulière. Dans le cas d’espèce, l’argument du ministre selon lequel le contribuable avait finalement connaissance de la proposition de rectification via sa société, n’a pas été retenu.
- Il met en évidence l’obligation pour l’administration d’informer le contribuable de l’ouverture d’un nouveau délai de réponse si la communication de la proposition de rectification initiale est tardive.
- Il confirme le pouvoir souverain des juges du fond pour apprécier les faits, notamment la réception effective d’un document, et le contrôle limité du Conseil d’État sur cette appréciation, sauf dénaturation.
- Cet arrêt illustre les exigences formelles de la procédure de rectification contradictoire qui constituent une garantie pour le contribuable. Le non-respect de ces exigences peut entraîner l’annulation de l’imposition.
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